J’ai connu personnellement Simon Peres à l’occasion de la visite d’État de Leurs Majestés le Roi et la Reine d’Espagne à Israël en novembre 1993. Dès lors, j’ai eu le privilège de maintenir une relation très intense avec le politicien israélien. Des milliers d’heures de conversations, de négociations, de réunions secrètes et de propositions imaginatives ont cultivé une forte amitié et une grande admiration envers lui. De nombreux analystes vont décrire aujourd’hui le leader israélien comme l’un des architectes fondamentaux de la création et la consolidation de l’État d ‘Israël. Je me rappelle les mots qu’a prononcé Simon Peres alors que j’étais l’ambassadeur d’Espagne en Israël à l’occasion de la célébration du 40ème anniversaire de la constitution de l’État d’Israël et la clarté de son message, en affirmant qu’à partir de ce moment-là, le défi d’Israël serait de parvenir à la paix et la réconciliation avec ses voisins arabes. Les citoyens israéliens vont sans doute exprimer leur reconnaissance envers sa contribution décisive à la construction de leur État. Les citoyens espagnols devons l’évoquer pour avoir été le signataire du rétablissement des relations diplomatiques entre Espagne et Israël en janvier 1986. Sa longue carrière politique, pendant laquelle il a assumé les principales fonctions ministérielles ainsi que la responsabilité en tant que Premier ministre, a terminé avec une étape comme Président de l’État d’Israël. En tant que Président de l’État, il a été une sorte de « père de la nation » et a attribué à ce poste des fonctions et une autoritas qui vont au-delà de celles qui lui correspondent formellement.
Cependant, sa véritable obsession et contribution a été la paix avec les Arabes et les Palestiniens. Cette vision de la paix dans la région est celle qui à mon avis devrait perdurer comme son principal héritage. Il a immédiatement compris le besoin de négocier avec les Palestiniens et a eu le courage et l’imagination de convaincre le Premier ministre Isaac Rabin, l’autre grand héros de la paix, de négocier de façon secrète à l’insu des États-Unis un début de réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Oslo fut une initiative innovatrice et inattendue qui a suivi à la conférence de la paix de Madrid et qui a permis d’imaginer que la paix entre ces deux peuples était possible. Dès lors et jusqu’à ses dernières actions en tant que président, Simon Peres a toujours cherché et défendu une solution politique et négociée. Rappelons la proposition de Simon Peres-Abou Allah, qui, à mon avis, peut encore être considérée la base pour n’importe quel accord définitif. Il n’a eu aucun souci à négocier et parler avec Yassir Arafat, avec qui il a toujours maintenu un respect et une reconnaissance mutuels, de même qu’avec l’actuel Président palestinien Abou Mazen. Même aux moments les plus compliqués de la deuxième intifada, Simon Peres a essayé toujours de trouver des solutions. Il l’a fait également au cours de l’affaire que j’ai eu l’honneur de négocier avec lui à la suite du siège à l’église de la Nativité. En tant que Président, il a essayé de nombreuses fois de convaincre les Premiers ministres les plus récents de chercher des solutions et des propositions imaginatives.
Le seul défaut que nous puissions attribuer à Simon Peres était son immense vision du futur. Il était en avance sur son temps. Son rêve était de bâtir un Moyen-Orient en paix et prospérité, de façon similaire à l’expérience européenne, dans lequel les Israéliens, Palestiniens, Égyptiens, Jordaniens, Syriens et Libanais puissent vivre dans une région intégrée où le commerce, les idées et les êtres humains puissent circuler librement. Ses affirmations avaient toujours un caractère visionnaire. Nombreuses étaient ses citations fameuses, qui ont même été définies comme des « peresims ». Je me souviens d’une de ses affirmations les plus brillantes, quand il a signalé que « le vingt-et-unième siècle serait le dernier siècle de l’agriculture et des frontières. Notre siècle actuel sera celui des idées, de l’information et de la communication, qui ne pourront pas être stoppés par des barrières physiques ». Aussi de sa conviction nette que « les guerres au Moyen-Orient ne seront pas des guerres pour récupérer des terres mais des guerres de l’eau ». Une autre de ses citations préférées qu’il ne prononçait pas en public était qu’il y a « deux choses que l’on ne peut pas faire devant la caméra : faire l’amour et faire la paix au Moyen-Orient ». Il surprenait toujours avec sa capacité d’utilisation du langage et l’excellence dans ses discours et ses interventions publiques. J’ai reçu avec grand honneur l’adieu tellement émotif qu’il m’a fait au terme de ma mission en tant que Représentant spécial de l’UE au Moyen-Orient. Pendant ma mission en tant que Représentant spécial, nous avons pris l’habitude de nous rencontrer tous les vendredis dans son bureau à Tel Aviv avant le Sabbat pour faire le bilan des évènements de la semaine et planifier ensemble des mesures constructives.
Son acharnement jusqu’à la fin de ses jours était de voir la « solution des deux États » vivant en paix et en sécurité. Simon Peres nous laisse sans que son rêve ait pu se réaliser finalement. Ses derniers écrits ont abordé la science et l’étude du cerveau, en signalant que « la science du cerveau est notre prochaine grande frontière ». La science n’est pas arrivée à temps de soigner sa dernière maladie cérébrale.
Je conclue ces lignes de reconnaissance et d’admiration avec une des citations qui m’ont impressionné le plus lors de sa dénonciation de l’horreur de la guerre et du terrorisme ; « dans la paix, les enfants enterrent les parents ; la guerre altère cet ordre naturel et fait que se soient les parents qui enterrent les enfants ».
Nous enterrons Simon Peres, mais pas ses idées, son héritage ni sa vision de la paix et de la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens.