Raisons et conséquences du «Brexit »

Rares ont été les occasions où j’ai pu vivre, en première personne et en direct, des moments cruciaux dans l’histoire d’un pays européen, à part ceux que j’ai vécus dans mon propre pays. Pourtant, ces jours-ci j’ai pu suivre sur place le débat passionné qui s’est tenu au Royaume-Uni au sujet de sa permanence ou sa sortie de l’ UE et le tsunami qu’a provoqué la décision finale de sortir de l’Europe. Les raisons de ce dénouement sont multiples et complexes, en relation tant avec la politique nationale comme extérieure, mais ce dont je vais parler sont les trois causes essentielles qui à mon avis ont déterminé ce résultat.

La première m’emmène à dénoncer l’absence de vision politique de tous ceux qui, tout en voulant s’opposer à la sortie de l’Union du Royaume-Uni, ont naïvement accepté le « slogan » politique du « Brexit » sans se rendre compte qu’en fait, ils étaient en train de légitimer la possibilité réelle de sortie. J’inclus ici tous les responsables politiques, tant européens comme britanniques, qui ont adopté le « Brexit » comme slogan de campagne d’une façon naïve. Ils ont tous été incapables d’y opposer une autre désignation positive qui puisse mobiliser les électeurs britanniques en faveur de rester dans l’UE. Cette incapacité de présenter une proposition positive au sujet de la permanence en Europe portait en plus le fardeau du traditionnel euroscepticisme inculqué de façon régulière par la plupart des leaders politiques britanniques. Il est très difficile de passionner la population quand on a critiqué et démonisé Bruxelles et ses institutions un jour après l’autre ; même l’accord européen au sujet du « Brexit », décroché par Cameron, portait en lui des doutes et des incertitudes concernant le véritable être européen.

La deuxième cause me porte à commenter l’intensité des émotions gérées par le débat politique autour de cette affaire. Les Britanniques ont vécu des journées comparées par beaucoup aux jours critiques de leur histoire où ils ont dû prendre des décisions cruciales. La population du Royaume-Uni a le sens de l’histoire et sait et comprend de façon responsable quand elle est en train de faire face à un évènement de grande magnitude. Les échanges dialectiques n’ont pas manqué de références aux expériences vécues pendant les années des deux guerres mondiales et le sentiment patriotique a été utilisé, en particulier par les défenseurs de la sortie de l’UE, pour évoquer de vieilles polémiques, en particulier celle qui surgit entre la politique d’apaisement de Chamberlain face à la fermeté et l’intransigeance de Winston Churchill, dont les rêves impériaux et les traditionnelles attitudes isolationnistes ont été entonnés à nouveau tels des chants de sirène d’un passé qu’ils aimeraient récupérer, inconscients des multiples et profonds changements qui se sont produits dans leur propre société et dans le monde extérieur.

Dans cet aspect émotionnel, les défenseurs de la permanence se sont retrouvés impuissants et dépourvus de toute proposition imaginative. Par rapport à la passion et aux émotions, c’est le « Brexit » qui a eu le dessus, puisqu’il provoque des sentiments et des nostalgies affectives que ceux en faveur de continuer en Europe sont incapables de contrer par des promesses de nouveaux horizons de gloire et d’essor pour leur pays dans de futures épisodes européens. Les étoiles du drapeau bleu ne touchent pas les gens et l’ode à la joie de Beethoven ne fait pas battre le cœur des Britanniques, alors que l’ “Union Jack” et le “God save the Queen” continuent à être des éléments essentiels de l’être et du sentiment britanniques.

La troisième cause qui aurait pu contrer les éléments favorables pour les défenseurs du « Brexit » n’a pas été expliquée ni développée de façon convenable : les conséquences économiques et sociales de la sortie de l‘ UE. On entend de façon constante que les Britanniques sont réalistes et pragmatiques et qu’ils prennent leurs décisions dans l’intention d’assurer leur niveau économique et social. Pourtant, les leaders politiques britanniques n’ont pas su convaincre les électeurs de l’impact négatif que toutes les classes sociales vont souffrir du fait de la sortie de l’Union. Paradoxalement, c’est précisément les classes ouvrières et ceux qui seront les plus affectés par l’absence de protection sociale à cause de la disparition du réseau de garanties européennes qui ont adhéré au « Brexit » sans considérer de façon rationnelle leur avenir. Il est vrai que les défenseurs du « Brexit » ont introduit de façon fallacieuse plusieurs obsessions et de nouveaux phantasmes, parmi eux l’immigration. C’est le grand problème qui va être de plus en plus présent dans les débats politiques européens du XXIème siècle. Les prévisions du FMI, de la Banque mondiale et des grands analystes financiers n’ont pas ébranlé les citoyens britanniques et ont prouvé la rupture de plus en plus criante entre la « classe moyenne » et l’ “establishment”. Les Britanniques ne savent pas ou ne veulent pas savoir que le Royaume-Uni, créateur de la révolution industrielle, n’a plus d’industrie, ni lourde, ni textile, ni automobile. Les Britanniques semblent ignorer que 13 000 docteurs européens prennent soin d’eux dans leurs hôpitaux et que toute leur économie dynamique et agile des dernières années s’appuie sur une main d’œuvre jeune et entreprenante européenne. Les Britanniques n’ont pas compris qu’en votant Non à l’Europe ils ont pu ouvrir la porte à l’indépendance de l’Écosse et à la perte du gaz du Nord. Les Britanniques ont voulu ignorer la possibilité que le problème de l‘Irlande du Nord puisse se rouvrir, vu que l’Irlande a voté pour la permanence en Europe face à la majorité des autres citoyens du Royaume-Uni qui ont voté pour la sortie.

En dernier lieu, les Britanniques ont cru que leur principale base économique et financière, la « City », restera le centre d’attraction de capitaux et d’investissements étrangers, sans comprendre que les vents spéculatifs et l’absence de confiance de ces marchés peuvent basculer d’une façon extrêmement volatile.

Tous ceux-ci sont les problèmes et les réalités que les électeurs du Royaume-Uni n’ont pas fini de saisir et qui, à court et moyen terme, vont devenir les grands défis du futur gouvernement de la Grande-Bretagne. Mais si celles-ci sont les raisons et les conséquences du « Brexit » pour le Royaume-Uni, ce qui doit nous occuper nous en tant qu’Espagnols et Européens c’est comment réagir face à cette nouvelle réalité. L’UE doit à mon avis proposer une nouvelle refondation de l’Europe. Le « Brexit » ne représente pas tout simplement la sortie d’un État membre soumise à l’application de l’article 50 du Traité de Lisbonne ,comme si de rien n’était, « business as usual », comme si rien de grave ne s’était passé. Bien au contraire, nous devons profiter de cette chance pour que, cette fois-ci oui, les pays véritablement favorables à l’Union avec une profonde vocation d’intégration, dorénavant sans les chèques frein et le véto du Royaume-Uni, sans son « in and out », puissions proposer un nouveau traité concernant la Zone euro, avec un parlement et des normes fiscales, économiques te budgétaires accompagnées d’une armée européenne et d’une véritable politique extérieure européenne dirigée par un véritable ministre des Affaires étrangères de l’Union.

Finalement, le « Brexit » aura stoppé le processus d’européisation qu’était en train de vivre le Royaume-Uni. 64% des jeunes britanniques entre 18 et 24 ans ont voté pour la permanence et ils ont devant eux presque 69 années de vie. Les plus âgés, 58%, ont voté pour la sortie, alors qu’ il ne leur restent que 15 années de vie en moyenne. Les Européens devons continuer à tendre la main aux jeunes britanniques pour qu’ils révisent la décision qui vient d’être prise, mais ce sera à eux de défendre leur cause de façon démocratique. En tout cas, le « Brexit » pourrait marquer le début d’une nouvelle étape pour le Royaume-Uni. Nous leur adressons nos meilleurs vœux, mais tout semble indiquer que la Grande-Bretagne du XIXème et XXème siècles reculera vers une Petite-Bretagne, comme signalent certains analystes.

Nous Européens, profitons dès aujourd’hui du « Brexit » pour accélérer de façon urgente le processus de construction d’une « grande Europe » avec un maximum d’intégration et prête à être un acteur essentiel et important dans le nouveau monde.