La lutte contre la faim

ll y a quelques mois quand les éditeurs de Turpial m’ont proposé d’écrire un livre sur la lutte contre la faim tout plein de doutes m’ont envahie, les mêmes d’ailleurs que j’ai eu il y a un an et demi quand j’ai décidé de présenter ma candidature à la Direction Générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Beaucoup de lecteurs se demanderont d’ailleurs pourquoi un diplomate, un expert en matière de relations internationales ou un politicien s’embarque dans l’aventure d’écrire un livre sur la lutte contra la faim sans être un spécialiste des thèmes agricoles et d’alimentation. Mais à travers le compromis et la responsabilité j’éliminai assez rapidement mes premiers doutes et me submergeai dans la campagne pour impulser et dynamiser cette organisation qu’est la FAO, de la même façon que je le fais maintenant pour ce livre. Je considère qu’aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de visions et de voix avec une expérience multidisciplinaire et une connaissance suffisante du monde global pour traiter, comme dirait Edgar Morin,  «   la complexité de la réalité du XXIe siècle  », ce qui requiert de plus une certaine vision et une expérience du politique. Il en est ainsi pour le monde de l’agriculture et de l’alimentation. J’ai un grand respect et une admiration profonde pour les ingénieurs agronomes, les scientifiques qui ont su, au long de plusieurs décennies, réaliser des études, appliquer des techniques innovatrices et , en général, promouvoir le progrès et l’avancée de l’agriculture et du système alimentaire mondial.

Le premier paradoxe se présente quand on se demande pourquoi nous n’avons pas réussi à éradiquer la faim dans le monde à un moment où règnent l’innovation et le progrès technologique? En fait il obéit, tout simplement, au fait que la science et la technique ne peuvent répondre au manque et à l’absence de volonté politique, ainsi qu’aux multiples contradictions et luttes de pouvoir qui se cachent derrière la plupart des décisions qui touchent la mise en place des politiques agricoles, politiques qui pourraient garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle, aussi bien à un niveau national qu’international. Sans cette dernière perspective nous ne pouvons donc pas comprendre les raisons profondes d’un tel échec collectif et universel.

L’histoire de l’humanité est intimement liée à la lutte humaine pour garantir sa survie, et cette dernière a comme première condition le fait d’assurer les besoins alimentaires. Le progrès réel de l’humanité s’est initié quand les communautés humaines sont devenues sédentaires et ont trouvé un espace idéal pour s’alimenter. Les peintures rupestres nous rappellent des scènes de chasse et représentent aussi les premières récoltes agricoles et les productions d’élevages. Sans aucun doute, la sécurité alimentaire est une constante du développement humain et continue de l’être au XXIe siècle. Elle constitue la priorité la plus importante de la communauté internationale et s’exprime de cette façon dans les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Le droit à l’alimentation ― que nous plaçons entre les premiers droits humains ― est un principe éthique de notre monde, un principe irréfutable et possible. Mais, face à cette réalité reconnue et légitimée unanimement, il est certain que nous devons encore surmonter des crises et des  scénarios inacceptables qui portent atteinte à ce droit, et qui fréquemment sont prévisibles.

Presque 1 000 millions de personnes souffrent de malnutrition et chaque année plus de 10 millions d’enfants âgés de moins de cinq ans meurent de faim tandis que 1 300 millions ont des problèmes liés à l’excès de poids et plus de 3 millions de personnes meurent à cause de mauvaises habitudes alimentaires. L’échec des politiques d’alimentations se révèle très couteux pour les vies humaines. De toute évidence, il ne faut pas dissocier la faim et la pauvreté des mauvaises habitudes alimentaires. Il est donc urgent qu’aussi bien les gouvernements, que les industries alimentaires, les marchés et les finances formulent non seulement des réponses à l’alimentation mondiale mais elles ont aussi le défi politique de procurer une alimentation adéquate.

Le sommet du Millénaire, avec ses huit objectifs de développement, fixe la faim et l’extrême pauvreté comme sa première tâche pour l’année 2015. Malheureusement nous sommes loin, très loin de l’accomplir. La communauté internationale et les organismes internationaux ne peuvent pas remettre à plus tard les solutions possibles et les décisions de futur.

Il est plus que probable qu’un certain nombre de lecteurs adoptent un air de scepticisme, dans plusieurs cas bien fondé, du fait des résultats qu’à priori présente la lutte contre la faim et la pauvreté. Ce scepticisme peut être vaincu et il est un puissant stimulant pour ceux qui, comme moi, maintiennent intact le compromis et la volonté de travailler à la mise en place de solutions à moyen et à long terme, et d’impulser la transformation du système international et de participer au design de politiques efficaces. Il est nécessaire de miser, en contribuant politiquement, culturellement et économiquement, sur ceux qui, jour après jour, tentent de sortir du cercle vicieux de la faim et la pauvreté, même si ce n’est que par intérêt, comme soutiennent certains politiciens, économistes et experts.

Avec cette publication je prétends simplement proposer un débat sur l’état actuel de la faim dans le monde et inviter à un diagnostique de la situation qui puisse nous amener à des concepts et projets viables et efficaces. Dans la mesure de votre intérêt, on approfondira dans les propositions les plus utiles en matière agricole et d’alimentation et ainsi que dans différentes initiatives étatiques et du système international pour faire de ce XXIe siècle celui de l’éradication de la faim et de la concrétisation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour tous.

Le XXIe siècle a débuté avec le lancement du sommet du Millénaire, mais les attentes crées par ce sommet se sont volatilisées suite aux brutales attaques des tours jumelles de New York. Le nouveau siècle aurait dû commencer avec un volume d’aide au développement très diffèrent de celui qui a finalement été fixé par les grands leaders mondiaux,  les institutions et organismes internationaux. Cependant le terrorisme international a imposé l’agenda de la sécurité en concentrant les efforts en matière militaire afin de lutter contre le terrorisme durant plus d’un quinquennat. En septembre 2008 cet même agenda connaît une altération significative avec l’effondrement de Lehman Brothers, et la crise financière et économique éclipsa toute autre tentative d’incorporer au débat et aux actions internationales toute question qui ne fasse pas référence à la gouvernance financière, aux crises de la dette souveraine ou à tout l’arsenal pseudo financier qui nous a conduit à la Grande Récession.

Face aux défis de sécurité et aux défis financiers actuels, la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté ont été reléguées à un deuxième plan, alors qu’elles sont les raisons profondes de plusieurs crises qui dérivent en affrontements armés, terrorisme, instabilité sociale et politique et en conflits qui auraient pu être résolus correctement sans violence. On n’a pas besoin d’être un spécialiste pour comprendre que plusieurs des raisons pour lesquelles certains pays et certaines régions ont souffert des crises de différente nature, sont liées à une précarité alimentaire. Nombreux processus d’instabilité politique et sociale trouvent leurs origines dans la volatilité des prix agricoles ou le manque alimentaire. Un des détonateurs du Printemps Arabe a été l’insécurité alimentaire de la région, situation qui se reproduit, avec moins de couverture médiatique, dans la région du Sahel  (Sénégal, Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad).

Plus d’une décennie de globalisation s’est écoulée et on n’a toujours pas donné de réponses satisfaisantes aux besoins alimentaires dans chaque région du monde et dans des dizaines d’états. Contre toute logique, quand le monde est le plus interconnecté et l’innovation et la recherche avancent à grands pas en matière de technologie des aliments, quand on peut finalement établir des prévisions et planifier les productions et les consommations par pays, il semble que la réponse définitive à la lutte contre la faim, à la sécurité alimentaire et à la sécurité humaine soit hors de portée. Probablement la question que l’on ignore souvent est celle-ci: en-a-t-il toujours été ainsi dans l’histoire de l’humanité? Alors qu’aujourd’hui nous avons tant de possibilités techniques et économiques, nous manquerait-il un plus grand compromis politique?

Avec humilité et modestie, ce livre prétend mettre en lumière la la lutte contre la faim et suggérer quelques réflexions pour que les citoyens ordinaires et l’opinion publique en général aient les instruments suffisants pour mieux connaître les vrais obstacles et les défis qui existent dans notre réalité complexe pour atteindre la sécurité alimentaire globale. Supprimer les obstacles est un objectif puisque ils empêchent d’obtenir la finalité unanime, défendue par tous, d’éradiquer la faim dans le monde; un objectif possible mais malheureusement qui nous échappe chaque année sans perspective d’une solution réelle.
Pour tout cela je demande tolérance et indulgence aux grands experts agricoles, ingénieurs agronomes, agriculteurs et citoyens du monde rural parce que ce que je prétends avec ce récit n’est pas seulement une simple illustration, sinon la sensibilisation et mobilisation de la citoyenneté, pour qu’elle exige plus de responsabilité à ses représentants politiques, ainsi qu’un plus grand compromis des institutions publiques et financières. Nous sommes tous appelés à impulser la tâche d’éradiquer la faim dans le monde, parce que pour presque mille millions de personnes c’est une question quotidienne de vie ou de mort. «  En matière de faim et de politique alimentaire, le besoin d’agir avec rapidité est évidemment d’une importance primordiale.  » comme disait le prix Nobel d’économie Amartya Sen. Faisons le au plus vite et unissons notre solidarité à la lutte de tant d’agriculteurs, pour la plupart des femmes, qui chaque jour travaillent dans leurs petites exploitations pour donner à manger à leurs familles et à leurs proches. Eux et elles aussi méritent notre admiration, notre compromis, et notre  mobilisation à tous.

1.Amartya Sen. Food, Economics and Entitlements, Wider Working Paper 1.Helsinki, 1986.