Kerry-Lavrov, les nouveaux Sykes-Picot du Moyen-Orient

Il y a quelques semaines un chapitre de l’histoire du Moyen-Orient s’est ouvert pour en fermer un autre, dans lequel l’Europe fut l’un des principaux acteurs. Les chefs de la diplomatie nord-américaine et russe se sont réunis à Vienne pour une première rencontre qui plus tard a accueilli deux nouveaux acteurs: la Turquie et l ‘Arabie saoudite. Hier ces quatre pays se sont à nouveau réunis pour une rencontre préparatoire qui a ensuite accueilli d’autres ministres, dont finalement l’Haute représentante de l ‘Union européenne a fait partie.

Aujourd’hui ce ne sont pas des diplomates européens qui dessinent la nouvelle carte du Proche-Orient, mais le principal responsable de la diplomatie nord-américaine, John Kerry, et le ministre des Affaires étrangères de la Fédération russe, Sergueï Lavrov. Il y a presque un siècle, un diplomate britannique et un autre français, Sykes et Picot, grands connaisseurs du Proche-Orient (Sykes fut membre de l’École arabiste britannique, à laquelle appartint aussi T. E. Lawrence d’Arabie, alors que Picot fut Consul à Beyrouth avant de partir vers Le Caire et Bagdad), furent les responsables de négocier un plan secret qui a établi les nouvelles frontières de la distribution territoriale du Moyen-Orient surgie du traité de Versailles et qui s’est maintenue jusqu’aujourd’hui. Le prochain mois de mars on fêtera le centième anniversaire de la signature de l’accord. Ce sera un moment très juste pour que la diplomatie européenne réfléchisse au sujet de son rôle dans cette zone du monde si proche et avec laquelle nous avons maintenu des échanges depuis toujours.

Paradoxalement, c’est Vienne, une capitale européenne, qui a été témoin de l’enterrement de notre influence, en ouvrant la porte en même temps à un nouveau dessin géopolitique dans lequel, incompréhensiblement, l’Europe est quasiment absente. Je ne voudrais pas exprimer un sentiment de frustration ou une fausse prétention d’importance, mais comment est-ce possible ? Comment peut-on justifier qu’au moment où l’avenir de la Syrie et du Proche-Orient est en train de se définir l’Europe ne se trouve pas présente au démarrage des négociations ? À quoi bon avoir fait tant d’efforts politiques, intellectuels et techniques pour que le traité de Lisbonne inclue deux nouvelles figures dans le système d’organisation de l’Ue, le président du Conseil européen et le Haut représentant de l ‘Union européenne, qu’on prétend qualifier de ministre d’Affaires étrangères de l ‘Union ? Où et à quoi est utile la politique européenne de sécurité commune ? Où sont passées ces figures et quelles sont les raisons qui expliquent qu’aucune d’entre elles soit présente dans les réunions centrales de Vienne ? Quelle décision ont pris les vingt-huit ministres des Affaires étrangères de l ‘Ue et pourquoi la participation n’a pas été obligatoire ? Quelle a été la position du Gouvernement espagnol et pourquoi notre diplomatie a été exclue ?

Bien au contraire, les États-Unis et la Russie ont commencé à avancer un Plan diplomatique qu’ils essayeront sans doute d’imposer à la communauté internationale. Comment l’Europe défendra-t-elle ses intérêts dans la région ? Les risques et les enjeux qui nous imposent l’obligation géopolitique de collaborer ne sont-ils pas suffisamment clairs ? Il faudra convoquer un nouveau Conseil européen pour résoudre une nouvelle crise de réfugiés en provenance de cette région-là et on continuera à ne pas assumer que notre responsabilité est de collaborer dans la recherche d’une solution politico-diplomatique à la guerre en Syrie.  L’Ue ne peut pas attendre à une déstabilisation généralisée de la zone parce que les réfugiés, le terrorisme, les nouveaux enjeux de la sécurité et la paix, etc. nous placent en première ligne des effets indésirables.

Il faudrait se demander ce que les dirigeants européens sont en train de faire… L’Europe se trouve à un moment critique et nous Européens avons toute la légitimité pour dénoncer l’inaction de l’Ue et exiger aux responsables politiques davantage d’engagement et d’implication, vu que Vienne a été témoin ces jours-ci du fait que Kerry et Lavrov ont remplacé Sykes et Picot.