J’ai suivi comme tout autre citoyen méditerranéen avec horreur et épouvante les derniers épisodes produits dans notre “Mare Nostrum”. Il est clair que nous sommes tous d’accord qu’il n’est plus possible de continuer comme auparavant et d’attendre que le mauvais temps s’améliore et arrête de faire arriver à nos côtes des milliers de morts et disparus. Je suis d’accord avec l’appel de la Haute Représentante de l’UE Federica Mogherini, ainsi qu’avec la convocation par le Premier ministre italien Renzi d’un Conseil Européen Extraordinaire pour traiter la question migratoire. Il était grand temps. L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta l’a déjà proposé l’année dernière, mais les dirigeants européens et le président de la Commission José Manuel Durão Barroso ont préféré de regarder ailleurs et de reporter cette rencontre. On ne peut plus reporter l’urgente adoption d’une politique migratoire européenne et la tenue de ce Conseil Extraordinaire est très opportune. Cependant, cette horreur et épouvante ont été accompagnées de surprise et insatisfaction lorsqu’on a constaté que le genre de mesures et l’approche que les leaders européens veulent proposer n’incluent aucune mesure diplomatique importante pour éradiquer ce défi majeur.
Dans toutes les déclarations et les annonces réalisées, y compris les 10 points du Plan d’action de l’UE passé lundi dernier par les ministres des Affaires étrangères, seulement des mesures d’ordre défensif et de politique intérieure sont considérées. Toutes les propositions se concentrent sur l’extension des mesures de contrôle, le renforcement des missions de surveillance, l’augmentation des moyens maritimes, la multiplication des mesures d’accueil humanitaire, le renforcement de la mission de FRONTEX ; des mesures nécessaires dans tous les cas, mais à mon avis largement insuffisantes. Je n’ai jamais encore été témoin de l’abord de mesures de nature diplomatique, alors que c’est précisément la diplomatie qui peut atténuer et changer cette dramatique situation.
Cet appel à la diplomatie n’a rien de nouveau. Il s’est déjà produit lors de l’antérieur gouvernement du président Rodríguez Zapatero. À l’époque, en 2006 et 2008, notre pays a vécu des situations très similaires à celle que traverse maintenant l’Italie.
À l’époque, outre des mesures de contrôle et de surveillance des frontières et de l’espace maritime, le gouvernement espagnol a adopté un plan d’action diplomatique adressé aux pays d’origine et de transit desquels provenaient ces immigrants illégaux. Seulement en comprenant les raisons profondes qui font échouer ces marées de personnes sur nos côtes pourrons-nous saisir l’origine de ce défi et adopter des mesures avec l’efficacité nécessaire. Pas un ministre des Affaires étrangères de l’UE n’a fait une tournée au « Sud » pour négocier et établir la responsabilité partagée de ces pays face à ce défi commun. Il semblerait que l’Europe ne veut pas comprendre la raison de l’arrivée de ces vagues de personnes qui cherchent à fuir une situation désespérée. Il est vrai que cette crise éclate dans nos frontières, mais la racine du problème se trouve dans les profondeurs de l’Afrique sub-saharienne et du Proche-Orient. C’est pour cela que la tâche diplomatique de l’UE devrait se concentrer dans cette double direction ; d’un côté, stabiliser cette zone vitale pour l’Europe qu’est le Proche-Orient, au moyen de fermes initiatives de paix, et d’un autre, concevoir un grand Plan de coopération au développement pour le continent africain. Tant l’Espagne et le Maroc comme l’Espagne et le Sénégal ont démontré que c’est possible de choisir la voie de la corresponsabilité en convoquant la première Conférence euro-africaine sur la migration et le développement à Rabat en juillet 2006, dans laquelle, en plus de l’approbation de mesures de contrôle des frontières, toute une série de propositions relatives au développement et à la coopération ont été explorées. Malheureusement, plusieurs de ces initiatives approuvées à la capitale marocaine n’ont pas eu un suivi approprié. Il serait aujourd’hui recommandable de convoquer à nouveau une conférence similaire.
Actuellement, toute la responsabilité et la gestion de la crise s’accorde aux ministres de l’Intérieur. Mais ceux-ci ne peuvent pas aborder tout seuls les multiples défis que pose cette situation. Ils ont besoin que leurs collègues des affaires étrangères se mobilisent, mais pas seulement à travers de réunions formelles dans les capitales européennes, mais en allant sur place et en se confrontant aux vrais interlocuteurs. La négociation doit se tenir ailleurs, c’est là que doivent se déplacer les représentants des affaires étrangères européens afin d’identifier les problèmes et proposer des solutions à court et à moyen terme. Pour ce faire, le besoin d’augmenter et de rénover l’effort de solidarité, en accroissant l’aide publique au développement, ne peut être contourné. Cette crise dévoile aussi l’impact négatif qu’a eu la réduction de l’APD sur les politiques de coopération. Il semblait que réduire les budgets de coopération n’aurait aucune conséquence et la plupart des pays de l’OCDE ont pratiqué de façon irresponsable des réductions radicales des contributions de leur PIB à la coopération. Ainsi, le 0,7% désiré n’a pas été atteint et, bien au contraire, on a passé d’un 0,5% à un honteux 0,1%. Les conséquences de ceci sont maintenant visibles. Nous avons augmenté à nouveau le budget d’intérieur et de défense et par contre nous continuons à réduire notre solidarité envers les plus pauvres. Ceux-ci continueront à parvenir à nos côtes, à sauter les clôtures ou à mourir dans le cimetière de la Méditerranée, alors que nous continuerons à rehausser nos murs, nous élargirons nos flottes de surveillance, nous renforcerons la forteresse Europe, mais le problème, loin de diminuer, s’aggravera de plus en plus.
Nous sommes encore à temps. C’est nous, Européens, qui pouvons décider notre futur, c’est-à-dire, transformer notre mer Méditerranée en une mer morte, un cimetière, ou bien au contraire en une mer commune d’espoir et de coexistence.